En qualité de conseil aux entreprises, nous recevons un nombre d’appels croissant de clients qui constatent des fluctuations de résultats par rapport à leur budget (à la baisse, comme parfois à la hausse) et qui peinent à les expliquer. La recherche de cause racine de ces écarts, ou « surprises », qu’ils concernent la marge brute, la marge opérationnelle, les stocks ou encore le solde de trésorerie, vient fréquemment chambouler l’agenda des directions financières et opérationnelles. Elle engendre :
— Un investissement de ressource, notamment en temps humain, afin d’ en comprendre les causes,
— Du stress qui s’accompagne souvent d’un sentiment de perte de contrôle sur les métriques de pilotage,
— De la méfiance vis-à-vis des données systèmes, voire une remise en question des indicateurs de performance en place.
La première source d’écart entre budget et réel réside, bien souvent, dans la conception de ce budget en lui-même. Dit autrement, un budget bien construit permet pour les organisations d’anticiper les fluctuations de résultats et de s’épargner une grande partie des inconvénients listés ci-dessus.
Dans l’étude Innovation dans la finance 2023 d’Eight Advisory, 91 % des entreprises sondées prévoyaient de conserver une approche budgétaire traditionnelle[1]. Nous avons jugé pertinent de partager plusieurs travers budgétaires observés majoritairement au sein d’ETI, et de mettre en exergue les leviers clés à actionner pour améliorer significativement le contenu des prévisions. Ces leviers clés, détaillés dans la suite de l’article, sont les suivants :
— Le calibrage des indicateurs clés
— La rationalisation des référentiels
— La complémentarité des objectifs
— La stabilité des organisations et le partage des connaissances
— L’outillage du budget
L’exercice du budget passe inéluctablement par la prise en compte d’indicateurs clés qui servent de curseurs pour le pilotage de l’activité.
Pour savoir où on va, il faut déjà comprendre d’où on vient. Projeter correctement des résultats nécessite d’avoir analysé les fluctuations actuelles et passées et de s’être doté d’indicateurs fiables et idoines.
Par exemple, une direction financière doit être en mesure de répondre à ces questions simples, fondation à toute analyse poussée :
— « Ma croissance de chiffre d’affaires est-elle induite par une augmentation de mes prix de vente, de volume, ou les deux ? Dans quelles proportions ? »
— « Ai-je acheté un composant donné plus cher ou moins cher que ce que j’avais anticipé ? Plus cher ou moins cher que l’exercice précédent ? Que le mois précédent ? Dans quel ordre de grandeur ? Et quelle a été ma capacité, en cas de hausse du prix de revient, à passer cette augmentation dans mon prix de vente ? »
— « Mes nouvelles références sont-elles relutives ou dilutives en termes de marge opérationnelle ? Combien de points de marge ai-je gagné ou ai-je perdu avec ces nouvelles références ? »
— « En cas de révision de contrats ou de renégociations de prix, ces clauses sont-elles réellement appliquées ? »
De notre expérience, ces questions simples en apparence amènent souvent des réponses incorrectes ou imprécises. Dans ce cas, la réflexion prioritaire de la direction financière (et du management) doit se recentrer sur le recalibrage des indicateurs clés. Bâtir un budget sans avoir sécurisé au préalable ses fondations, c’est le risque de devoir justifier des écarts à la cible tout au long de l’année suivante.
Le budget, exercice prévisionnel incontournable au sein d’une organisation, doit refléter les ambitions que celle-ci se fixe. Il doit s’agir d’un engagement collectif aussi bien qu’individuel.
Pour une équipe commerciale, cet engagement peut se matérialiser au travers de catalogues de prix de vente produits intégrés au budget. Pour une équipe industrielle, c’est la base des temps homme et machine qui peut servir de référentiel cible à la projection des résultats.
En théorie, le nombre de bases utilisées dépend du niveau de finesse souhaité en matière de pilotage. Notre expérience démontre cependant que les problèmes de référentiels viennent régulièrement entraver la bonne projection des résultats et les analyses d’écarts indépendamment du niveau de détail du budget.
Comment arrive-t-on donc à avoir plus de référentiels que nécessaire ou à gérer de mauvais référentiels de données ? Certaines raisons reviennent fréquemment :
1 – les problème de versions : dans un très grand nombre de structure (petites ou grandes), le budget « traditionnel » est modélisé via des tableurs Excel. La prolifération des versions Excel d’un même tableur au sein des différents départements peut induire en erreur les opérationnels. C’est d’autant plus vrai dans les secteurs manufacturiers, où les mises à jour des bases d’unités d’œuvre, les gammes et nomenclatures, font parties intégrantes du budget. Et à partir d’un certain niveau de complexité, l’enjeu d’outillage se pose clairement.
2 – un choix de base de données déconnectée de la comptabilité. Prenons un cas achats classique : si la base des prix négociés (base contrats) est retenue à la place des prix d’achats appliqués (base historique des factures fournisseur), le management doit en mesurer la portée. En effet, il arrive que les prix contrats ne s’appliquent que dans les conditions d’achats optimales (taille de lot, délai). Etant donné que les aléas sont fréquents dans certains secteurs, recourir à une base contractuelle peut s’avérer trop ambitieux et générer par nature et par construction des écarts mensuels récurrents avec le réel.
3 – les délais budgétaires trop longs : autant les durées de clôture des comptes tendent à se réduire autant les budgets occupent une part croissante du temps de travail des équipes, à la fois en intensité et en durée. Un effet collatéral de cette période budgétaire à rallonge est l’évolution des hypothèses entre le cadrage et la communication du budget. Plus ces jalons sont éloignés, plus les référentiels risquent d’évoluer, plus les erreurs de référentiels peuvent intervenir.
4- Un budget de plus en plus granulaire : d’années en années les attentes grandissent concernant la finesse des projections, sur les produits comme sur les charges. Aussi, très souvent, un budget évolue avec les additions de couches d’analyses et de détail dans la modélisation, donc davantage de complexité et davantage de référentiels de données.
La tentation est forte pour une direction de mécaniquement rehausser les objectifs de Kpis d’année en années dans le but d’améliorer ses résultats. Or, le rôle d’une direction n’est pas tant de pousser à l’atteinte de certains niveaux de rendement que de fixer la stratégie pour développer l’activité et rester compétitif.
En effet, si chacune des équipes d’une organisation se borne à simplement améliorer son rendement d’un exercice à l’autre, bien souvent ce modèle s’effrite au bout de quelques années car il engendre des dynamiques qui peuvent devenir antagonistes. Autrement dit, les effets secondaires de certaines actions peuvent provoquer davantage de désordre que les bénéfices qu’elles ont pu générer.
Aussi, le titre de cette section aurait pu être « Jongler avec des forces antagonistes » ou encore « Choisir c’est renoncer ».
Quelles forces antagonistes peut-on rencontrer dans un budget ?
— Un des cas classiques dans nos périodes inflationnistes est celui des objectifs de prix d’achats à la baisse. Un levier de négociation fréquemment employé par les acheteurs est celui de l’augmentation des tailles de lot pour l’obtention de rabais. Or l’effet immédiat d’une massification c’est la hausse des stocks. Et qui dit hausse des stocks dit besoin de trésorerie.
— L’autre cas courant est, dans le secteur industriel, la désynchronisation entre les ambitions de vente et les objectifs de rendement qui mécaniquement entraînera une augmentation des stocks (si je produis plus vite que ce que j’écoule, je crée du stock et si je vends trop vite par rapport à mon rendement, je dois anticiper le stock ou externaliser)
Dans son ouvrage « le But – Un processus de progrès permanent », l’auteur Eliyahu Goldratt illustre de façon bien plus précise et détaillée les problématiques rencontrées par les dirigeants autour de ces déséquilibres liés au rendement, à la capacité ou à la gestion des aléas.
Un budget doit ainsi refléter une cible ambitieuse mais néanmoins réaliste et donc équilibrée du futur d’une organisation. De manière pragmatique, pour une direction, il s’agit de garantir la cohérence et la complémentarité des objectifs en termes de revenus, charges et trésorerie.
Derrière un budget, ce sont de nombreuses heures passées par les financiers et les opérationnels. La dimension humaine est donc clé.
La fonction finance est, bien entendu, en première ligne dans cet exercice budgétaire en tant que responsable du processus budgétaire et joue le rôle de pivot avec les autres départements.
Anticiper les fluctuations futures, c’est avant tout comprendre les flux et leur incidence sur le résultat financier. Or, il n’est pas rare de faire face à des financiers exécutant des processus dont ils ne maîtrisent pas la finalité ou qui maîtrisent seulement une partie de leur périmètre d’intervention. Comment ces lacunes peuvent-elles se traduire dans un budget ? Cela peut être au travers d’oublis (ex : les retards de décaissement sur les capex N-1, le retraitement de ventes internes), d’approximations (sur les tendances d’évolution des prix, sur la mensualisation des ventes) ou encore d’erreurs.
L’instabilité des équipes ressort comme une des principales raisons du manque de maîtrise des processus. La crise du Covid a accentué ce phénomène ces dernières années, même en région.
De plus, le recours massif au télétravail et l’éloignement avec le terrain compliquent le sujet du transfert de connaissances entre les collaborateurs, qui est pourtant vital pour comprendre les flux et les modéliser.
La popularité croissante des manuels de gestion hébergés dans des plateformes collaboratives permet, certes, de compenser une partie des écueils listés mais ne suffit pas toujours à maintenir la cohérence et l’efficacité des processus financiers.
Dans un tel contexte de déficit de connaissance, le budget même peut finir par être relégué au second plan et considéré comme une obligation et non pas comme un outil de pilotage.
Enormément d’entreprises (de taille intermédiaire et grandes entreprises) continuent de produire leur budget 100 % sur Excel. Si Excel reste probablement le meilleur allié du contrôle de gestion, son usage excessif peut générer certains travers comme la multiplication des référentiels (cf. supra), la lenteur des mises à jour ou encore le manque de collaboration lors de la construction du budget. Pour exploiter pleinement les bénéfices du budget, les entreprises peuvent aussi s’appuyer sur des plateformes de pilotage de la performance d’entreprise (EPM) robustes et intégrées. Ces systèmes jouent un rôle crucial en fournissant l’outillage nécessaire pour collecter, traiter et analyser les données de manière efficace et en facilitant la collaboration des départements impliqués.
L’intégration des données et la consolidation sont des aspects clés des plateformes EPM. Celles-ci permettent d’agréger rapidement et précisément les informations financières et opérationnelles provenant de différentes sources, tant internes qu’externes, financières ou extra-financières. Cette consolidation est essentielle pour maintenir des prévisions à jour et obtenir une vue d’ensemble de la performance de l’entreprise, permettant la rapide mise à jour des données et la comparaison réel / budget à une maille d’analyse similaire.
Les fonctionnalités avancées d’analyse et de modélisation des plateformes EPM permettent en outre aux entreprises de simuler différents scénarios et d’évaluer les impacts potentiels des conditions de marché sur leur performance financière.
Enfin, les plateformes EPM favorisent également la collaboration et la communication entre les départements en offrant une plateforme commune pour la planification et la prévision. Cette collaboration renforcée garantit que tous les acteurs de l’entreprise soient alignés sur les objectifs et les prévisions, ce qui améliore l’adhésion à la stratégie globale et favorise une meilleure exécution des plans d’action.
Toujours selon l’étude Innovation dans la fonction finance, encore un tiers des entreprises rencontrent encore des difficultés dans leur planification financière. En sécurisant les éléments fondamentaux comme les indicateurs clés et les objectifs collectifs, en renforçant le contrôle des bases de données, en développant les compétences des équipes financières et enfin, en outillant le processus, ces entreprises seront mieux armées pour aborder l’avenir avec moins d’incertitude.
Les entreprises leaders de demain devront garantir un équilibre entre maîtrise des processus existants et avancées technologiques. À l’instar du développement des ERP il y a quelques décennies, l’avènement de modèles prédictifs inspirés de l’IA passera nécessairement par le choix et la qualité des données d’entrée. Fiabiliser les fondamentaux du budget traditionnel, c’est aussi anticiper le virage de la digitalisation et de la compétitivité.
[1] Le budget traditionnel est un plan financier annuel utilisé comme outil de pilotage, de contrôle et d’évaluation des performances – à l’inverse du Beyond Budgeting, modèle de gestion agile, roulant, à horizon stratégique 2-3 ans.
[2] Etude 2023 d’Eight Advisory, « Innovation dans la fonction finance » : https://www.8advisory.com/2023/11/06/etude-innovation-fonction-finance/